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Hommage à Michel Demange

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Avec Michel Demange, prématurément disparu dans la nuit du 30 au 31 juillet, c’est un grand naturaliste qui disparaît et ce sont les sciences naturelles qui sont en deuil, ces sciences qu’il a aimé avec passion et sous toutes leurs formes.

Michel Demange, 2009. Source : Presses des Mines

Michel Demange était avant tout un très grand géologue, un géochimiste de haute volée et un exceptionnel pédagogue. S’initier à la géologie avec lui, c’était apprendre à regarder les pierres autrement, ou plus exactement à ne jamais laisser de côté un caillou. Car les cailloux, il savait les faire parler, certains diront : au-delà ce qu’ils pouvaient dire. Sa pratique, des décennies durant, de terrains ingrats et peu loquaces, où les affleurements étaient souvent de mauvaise qualité, avait aiguisé chez lui une intuition et une inspiration très profondes. Peu de structures complexes résistaient à ses investigations. Il les parcourait en tous sens et par tous les temps, les observait de près et de loin et finissait par en percer les mystères.

Un stage dans le Massif de l’Agly à l’été 1982 m’avait fait apprécier les méthodes et les raisonnements de Michel Demange, ce don qu’il avait d‘épuiser la moindre information de terrain, de construire des hypothèses et de replacer une observation locale, minéral, roche ou lame mince, dans une perspective paléogéographique. Et tout naturellement, je me suis tourné vers lui pour mon sujet de fin d’études à l’Ecole des Mines de Paris, le tracé d’un tronçon de la faille de Mazamet dans des schistes métamorphiques non datés et peu différenciés (schistes X) entre Somail et Pic de Nore. Ma rencontre personnelle avec Michel Demange fut affaire d’admiration et de séduction, ce mélange subtil qui souvent nous saisit face à une intelligence supérieure et avide de se partager.

Michel Demange aimait à répéter cette citation de Pierre Laffitte : “la géologie est ce qui prépare le mieux aux métiers de la banque“. L’actualité d’aujourd’hui montre en effet combien “la Banque” aurait eu grand intérêt à recruter des géologues formés à l’école de Michel Demange. Avec lui, on apprenait en effet à ne laisser passer aucune donnée, à construire des scénarios, à questionner ses hypothèses, à les appliquer avec prudence et à ne jamais s’enfermer dans les idéologies et les systèmes, ce piège fatal auquel succombent trop de géologues et encore plus d’experts de la finance. Avec lui, la géologie devenait un des arts de l’ingénieur, un domaine où exercer “l’intelligence des situations”.

Mais Michel n’était pas uniquement l’expert du monde minéral. Une journée de terrain avec lui comportait autant de botanique et d’entomologie que de géologie. La flore Bonnier n’était jamais très loin dans le sac à dos et sa mémoire était rarement mise en défaut face à une plante curieuse. On finissait par aimer passionnément ces balades dans la nature avec une encyclopédie ambulante… Michel Demange c’était aussi le collectionneur infatigable, d’orchidées (en photo seulement !) et de papillons, dont les boîtes, soigneusement rangées, tapissaient les murs d’une pièce de son appartement transformée en « lépidoptèrothèque ».

Alors oui, Michel Demange était parfois un peu bourru et catégorique, ce qui lui valait quelques adversaires farouches dans la profession. La géologie selon Michel, c’était un peu « marche ou crève » et peu de talents trouvaient grâce à ses yeux. Il n’était point docile, ni envers l’académie, ni envers l’autorité, ce qui, souvent, nuit à une carrière. Mais moi, je l’aimais comme cela : authentique, intransigeant. Pas du tout diplomate, mais assurément sensible. Un grand enfant curieux et gourmand.

A l’automne dernier, j’étais allé passer une journée avec lui, dans cet appartement de Ménilmontant d’où l’on voyait tout Paris et dont il sortait désormais peu, déjà atteint par la maladie qui devait l’emporter. Nous avions parlé de ses derniers travaux sur la Montagne Noire, de ses projets de livres. Nous avions passé des heures à admirer ses papillons et avant de partir, il m’avait joué un morceau de Brahms au piano.

C’était le Michel Demange de toujours, celui que nous aimions et qui va nous manquer. Il nous laisse beaucoup trop tôt, dernière marque de son impatience à contempler la nature et à en connaître les secrets. Ceux qui resteront toujours inaccessibles aux géologues d’ici-bas.


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