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Du pain sur la planche… (3/4)

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Cette troisième partie du billet consacré à des chantiers méritant (selon moi) l’attention des nouvelles autorités gouvernementales, abordera la question des paradigmes nationaux entourant l’enseignement supérieur (chantier n°6) et les formations professionnelles (chantier n°7).

Chantier n°6 : changement de paradigme pour les études supérieures.

« A quoi bon, jeunes gens qu’à ce bagne on condamne,

Devenir bachelier puisqu’on peut rester âne ? »

Victor Hugo, l’Ane, 1880

Nous ne prenons pas toujours pleinement conscience de la pression sociale que nous subissons et assumons dans notre pays dès lors qu’il s’agit des études supérieures. Trop de parents (quand ce ne sont pas les intéressés eux-mêmes) manifestent encore en société comme une espèce d’autocensure ou même de honte à avouer que tel de leur rejeton a fait des études courtes, suit une filière technique ou exerce ce qu’ils appellent « un petit job » tandis que d’autres transpirent en licence ou en master.

Des expériences de vie sont ainsi contrariées, la valeur du travail, dégradée, au motif que « hors des études supérieures, point de salut ! ». Résultat : quantité de jeunes sont précipités, au mépris de leur intérêt, dans des parcours postbac sans lendemain ou pour lesquels ils ont peu de goût ou peu de dispositions, par contrecoup de cette pression ambiante. Ce qui fait que ces jeunes, dans le meilleur des cas, finissent par trouver leur voie, à l’intérieur ou à l’extérieur des filières d’enseignement supérieur au terme d’une succession de déconvenues qui leur fait perdre du temps et risque de les décourager. Dans le pire des cas, c’est le chômage, sans le diplôme ou, pire, avec excès de diplôme.

Mon intention n’est évidemment pas de dénigrer les études supérieures en tant que telles, mais plutôt de plaider pour qu’il en soit fait un usage plus pertinent, dans l’intérêt des jeunes et au bénéfice de la Nation. Or, la vocation des études supérieures au regard de ces deux exigences est actuellement sujette à caution, en considération du chômage rampant chez les jeunes d’une part, des performances moyennes du système d’enseignement supérieur au regard de ce qu’y investit le pays d’autre part.

Pour nous en convaincre, reportons-nous au document de propositions publié au mois de février par la Conférence des Grandes Ecoles à l’intention des candidats à l’élection présidentielle (disponible à cette adresse :

www.educpros.fr/uploads/media/Propositions_CGE_Presidentielles_-_complet.pdf). Nous y découvrons en page 11 un graphique de synthèse fort édifiant mettant en relation le taux d’accès au supérieur et le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans pour une trentaine de pays de l’OCDE ou émergents (page 11 du document).

Ce schéma permet de tirer au moins deux enseignements : 1) au premier ordre, il n’y a aucune corrélation entre ces deux indicateurs, autrement dit, dans l’absolu, l’accès accru d’une classe d’âge au supérieur ne garantit nullement sa moindre exposition au chômage, 2) certaines comparaisons sont intéressantes, par exemple entre la France (accès 60%, chômage 22,5%) et l’Allemagne (accès 34,4%, chômage 9,7%).

Un tel graphique va tellement à rebours des idées reçues que la plupart des gens l’accueillent avec surprise et scepticisme. Il faut dire que tout a été fait pour ancrer dans l’esprit de ces mêmes gens, dans les dernières décennies, que pour augmenter son employabilité et ses chances de succès dans la vie, un jeune devait à tout prix s’engager dans des études supérieures. Compte tenu de cet endoctrinement, comment la société pourrait-elle facilement reconnaître que ce postulat non seulement n’ait pas une traduction statistique évidente, mais encore soit contredit par la statistique ?

C’est que nous sommes tous, à des degrés variables et sous des pressions diverses : sociales, politiques, médiatiques, les victimes d’une illusion, pour ne pas dire d’une erreur grossière. Nous tenons pour une vérité globale ce qui est valide à l’échelle individuelle, en l’occurrence : l’intérêt de principe à « valoriser ses talents aussi loin qu’on le peut », par exemple sous une expression académique. Ce faisant, nous commettons une confusion entre déterminisme individuel et dynamique des populations, entre comportement et sociologie.

Bien sûr que les politiques publiques qui visent à augmenter le taux d’accès au supérieur d’une classe d’âge ont pour cible ultime les individus et leur réussite. Mais leur vision est démographique et leurs moyens d’action essentiellement macroscopiques. Elles ne peuvent produire des effets individuels majoritairement positifs qu’à condition que le système (ou la mécanique) qui les relaie soit performant(e). Dans le cas contraire, le constat étant fait de leur échec, elles doivent mettre en œuvre des moyens colossaux et individualisés pour un traitement ex post de leurs dommages. C’est typiquement la situation dans laquelle nous nous trouvons et qu’illustre, pour la partie « échec », le graphique de la CGE.

Beaucoup d’efforts sont, à raison, consacrés à rendre plus performant notre système d’enseignement supérieur. Mais ces efforts seraient de portée limitée si nous n’entreprenions pas conjointement de corriger une erreur plus fondamentale et dont nous portons la responsabilité collective. Quelle est-elle ? Tout simplement de rendre cette expression : « valoriser ses talents aussi loin qu’on le peut », dont le sens profond est fait de vocation et d’engagement, synonyme de longueur d’études. Nos politiques publiques semblent souffrir de ce même aveuglement qui frappe les parents obstinés, adeptes du « passe ton bac d’abord ! » (« bac » étant devenu, avec le temps, « licence », voire même « master »).

Et voilà comment on déserte les formations qualifiantes non-académiques, privant les classes d’âge successives, par des mirages de promotion sociale au travers d’études longues, de nombreuses autres sources possibles d’épanouissement. Voilà comment, en corollaire, on dévoie les missions et on compromet la performance de notre enseignement supérieur en le transformant en « machine à digérer du bachelier ». La France n’a pas fini de payer l’addition de son déficit d’ouverture à l’égard de la diversité des intelligences et de ses penchants excessifs pour l’intellectualisme, plus précisément, pour cette forme étriquée qu’il emprunte, labellisée par des études supérieures, des cursus classiques, la conformation à des codes de culture générale, le tout illustré et verrouillé par une intelligentsia omniprésente. L’éducation nationale au sens le plus large, doit poursuivre deux objectifs : permettre à des jeunes de se construire et leur donner les outils pour contribuer, à la mesure de leurs talents, à la prospérité sociale. A cet égard, les études longues ne sont rien de plus qu’une voie d’orientation parmi d’autres. Or, nos représentations sociales et leurs traductions politiques semblent bien les désigner comme le véhicule privilégié de la réussite pour la totalité des jeunes : n’y pas parvenir est en soi un échec.

Après avoir fait le constat des échecs et des carences de notre système d’enseignement supérieur et avant même de songer à le renforcer, il convient donc en priorité de revisiter, en profondeur, le paradigme national dans lequel il s’enracine. Ce préalable est indispensable pour, d’un côté, faciliter et conforter la démarche d’excellence dans laquelle sont actuellement engagées les universités, de l’autre côté, valoriser des filières « techniques et professionnelles » insuffisamment développées dans notre pays.

Chantier n°7 : recentrer et revaloriser les cursus à vocation professionnelle

Lorsqu’on les met en regard de ces exigences, certaines orientations récentes des cursus scolaires et universitaires, par exemple : l’instauration du collège unique, la mise en extinction du BEP, devenue simple « certification » (et non plus diplôme) en vue de l’obtention du bac pro, la réforme de ce dernier pour l’aligner sur la durée du baccalauréat général, soulèvent de multiples interrogations

N’ont-elles pas des retombées, directes et indirectes, sur le décrochage dans le secondaire et dans le supérieur ? Contribuent-elles à l’excellence des filières universitaires ? Concourent-elles à renforcer les cursus professionnels ou plutôt à les affaiblir ? Sont-elles de nature à nourrir le « redressement productif », priorité nationale, ou ont-elles plutôt tendance à le contrarier ?

Toutes ces questions renvoient encore et toujours aux représentations sociales de l’enseignement supérieur et des études académiques. Que l’image de l’enseignement supérieur par voie classique (donc « noble ») soit surévaluée par la Nation débouche, naturellement et mécaniquement, sur une image sous-évaluée des formations professionnelles et notamment des formations à caractère industriel. Un indicateur parmi d’autres nous donnera un élément d’état des lieux : en région Rhône-Alpes, le « taux de demande » de certaines filières « production » en CAP et seconde bac pro, mesuré par le nombre de candidats les ayant élues pour premier choix, atteint seulement 20%. Les autres places, soit 80% sont comblées par ceux que les éléments de langage pudiques du moment qualifient de « publics fragiles ».

A l’évidence, il y a, dans ce pays, comme un déficit de discours valorisant sur les formations professionnelles, victimes, comme l’apprentissage, d’une association trop fréquente avec l’échec scolaire et les fractures sociales dont elles seraient l’un des recours. Comme si les cursus professionnels avaient pour finalités essentielles l’insertion sociale et l’accueil des publics défavorisés ! Alors qu’aujourd’hui, avoir une profession et un emploi, c’est à l’évidence être favorisé ! Ce discours peu valorisant est aussi le symptôme d’un certain manque de réalisme et de vision.

N’est-il donc pas possible d’assumer que les études professionnelles sont faites pour tous et non pas des voies « faute de mieux » ou « palliatives » dans une société qui cherche à développer l’emploi et à restaurer « la valeur travail » ? Résultat de ces ambigüités entretenues autour de leur valeur sociale, les filières professionnelles, et notamment les filières courtes postbac, n’occupent pas la place qualitative qui devrait être la leur dans le système éducatif français. Selon les données Eurostat (EU Labour Force Survey), la part de la population active allemande ayant un diplôme (en général professionnel) à la charnière secondaire-supérieur est de 60% contre 40% en France. Ce différentiel ne se traduit d’ailleurs pas par une proportion plus élevée de diplômes supérieurs dans notre pays, mais par une proportion plus élevée de faibles niveaux d’études (33% contre 16% en Allemagne).

Cause ou conséquence, les filières professionnelles n’occupent pas non plus en France leur place quantitative. Ainsi, la proportion de places dans les filières courtes supérieures offertes à l’issue du secondaire est par exemple en France 10 à 15 points inférieure à ce qu’elle est aux Etats-Unis.

Les chantiers qui vont s’ouvrir, notamment autour du redressement productif et du continuum Bac-3/Bac+3 auraient tout intérêt à s’articuler autour d’une nouvelle vision, valorisante, ambitieuse, enthousiasmante de l’enseignement professionnel, technique et industriel. Il y a urgence à rendre l’organisation de notre système éducatif enfin cohérente avec les grandes causes économiques et sociales du pays. L’enseignement professionnel doit y être reconnu pour ses valeurs intrinsèques, au lieu comme il le fait actuellement, péniblement, de « jouer des coudes » pour conquérir la reconnaissance qui lui revient dans des représentations sociales de l’excellence encore fortement teintées de chimères.

Dans quelques jours, suite et fin de ce billet avec trois nouveaux chantiers :

Chantier n°8 : Ouvrir la porte à des financements innovants


Chantier n°9 : L’éducation à l’innovation et à l’entrepreneuriat


Chantier n°10 : La réforme de l’orientation post-bac


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